Louis Verret

Group Show⎜Palmarès ⎜20.06 - 26.07.2024

Crédit photo : Romain Darnaud

Louis Verret, né en 1988 à Paris, est un artiste visuel, poète et commissaire d’exposition. Il vit à Paris et travaille à Aubervilliers.

Il est diplômé de la Central Saint Martins de Londres en 2012.

Son vocabulaire plastique s'étend de la peinture à l’aquarelle sur papier à l'installation, de l’écriture poétique à la vidéo. Sa pratique, dialectique et subversive, explore les plis de la culture, l’interroge via l’étude de ses productions emblématiques. Son dernier projet en date, Les fruits de la passion (2021-...) associe peinture à l’aquarelle, écriture et installation et consacre l’expérience du spectacle footballistique, examine son histoire, ses fantômes. Aussi : (2020-2022) couplait peinture à l’aquarelle et écriture, élaborant un dialogue entre l’objet-livre et le souvenir qui le charge. Son travail a été exposé en France et en Arménie : à la galerie Les Filles du Calvaire, Karl Marx Studio, Julie Caredda et pal project notamment, au musée Paul Eluard de Saint-Denis, au Pavillon Vendôme de Clichy, au NPAK de Yerevan.

Son œuvre fait partie de collections privées et publiques (FDAC Seine-Saint-Denis).

En tant que commissaire d’exposition, il est à l’origine de la première édition de la manifestation Feÿ-Rencontres d’arts (2018), notamment dans le commissariat des propositions Art et Musique. Il fonde le Fonds de dotation Weiss en 2021, une résidence d’artiste à Paris, pour laquelle il assure le suivi des projets de résidence et le commissariat d’exposition concluant la résidence.

  • 2024

    L’Atlas, joueur, galerie Les Filles du Calvaire, Paris

    Troisième quart de finale, galerie Les Filles du Calvaire, Paris

    2021

    Pizza Hut samedi soir (dimanche matin, aussi, 28, rue Paul Valéry, Paris

    Sans la liberté, Karl Marx Studio, Paris

    2016

    La naissance de A, Galerie Louis Gendre, Chamalière

    Le goût de l’aspirine, rue Notre-Dame de Nazareth, Paris

  • 2024

    Mécanique de l’exploit. Le corps à l’épreuve du sport, Musée d’art et d’histoire Paul Eluard, Saint-Denis, (commissariat Valérie Perlès, Cécile Jovanovic, Pauline Fleury, Nathalie Lafforgue)

    Palmarès, galerie Julie Caredda (commissariat Joséphine Dupuy-Chavanat)

    J’ai fermé les yeux, pal project, Paris (commissariat Lucien Murat)

    Festivals, NPAK Yerevan, Arménie (commissariat Ekaterina Shcherbakova)

    Nord-est : cartographie des sensibles, Poush, Aubervilliers (Yvannoé Kruger)

    2023

    The world is you toilet / Insomnia, Poush (Jack Rother Garcia / Yvannoé Kruger)

    L’Art du Dribble, Galerie Dumonteil, Paris

    2022

    Ataqar (Romain Sein), Julio Artist Run Space, Paris

    Borderline (Yvannoé Kruger, Marilou Thiebault), Pavillon Vendôme, Clichy

    À voir absolument ! II, (Héliante Bourdeaux-Maurin), H-Gallery, Paris

    Narration des ordinaires 2 (Adrien Van Melle), Florence Loewy, Paris

    The Hidden Dimension (A-Topos), Paris

    Phantasmagoria Palace (Paulo Inverno), espace Voltaire, Paris

    Art Protects, Yvon Lambert, Paris

    2021

    L’écume des songes (Hervé Mikaeloff, Elise Roche, Yvannoé Kruger), Poush-Manifesto, Clichy

    DDessin 9 (Eve de Medeiros)

    Projet.en.correspondance (Eugénie et Nathalie Touzé)

    2020

    Glory Hole (Fiona Valentine Thomann)

    2019

    La fin du début de ma vie ou un portrait de l’artiste en jeune père in I’land, (Chiara Agradi) La Volonté, 93, Saint-Ouen

    2018

    Adriana, Feÿ-Rencontres d’arts, Villecien

  • 2014

    Zhou-Zhuang (Chine)

  • Aussi 2020-2022

    Graphisme par le studio Baldinger - Vu Huu

    2019

    Italie Initiale

    2017

    AVN / WOMEN’S MARCH (livre d’artiste)

    2016

    Le goût de l’aspirine

  • 2024

    Des gestes aux émotions, le spectacle du football (2024). Conférence dialoguée avec G. Blanc-Marianne. Festival d’histoire de l’art de Fontainebleau

  • 2022

    Phonomaton, Anaël Pigeat

    L’heure / Radio Poush

  • 2023

    Collection départementale d’art contemporain de Seine-Saint-Denis

  • * au Fonds de dotation Weiss

    2024

    Appelle-moi quand t’arrives (Raphaël-Bachir Osman)*

    2023

    A feature, not a bug (Olivier Bémer)*

    Car si tout se transmet, rien ne meurt (Deborah Fischer)*

    2022

    Contre un battement de cils (Eugénie Touzé)*

    Paris Super Stars (Melchior Tersen)*

    Run over (Pauline d’Andigné)*

    2021

    Check 1 2 1 2 (Louis Jacquot)*

    Kernelite (Clédia Fourniau)*

    Malabar Express (Mario Picardo)*

    2018

    Feÿ-Rencontres d’arts, Villecien

  • 2012

    BA (Hons) Central Saint Martins School of Arts and Design, Londres

Presse

2024 - Art Press, juillet 2024

2024 - Beaux-Arts Magazine, juillet 2024

2022 - Télématin sur France 2 par Anna Reinhardt

2021 - Art Absolument, avril 2021

TEXTES

“Il ne s’agit donc pas ici de la façon dont le sport peut « faire image », mais des manières infiniment plurielles dont ces images se génèrent, impriment notre mémoire et deviennent plus tard des reliques sinon des objets de culte. Il y a ainsi dans la production de Louis Verret quelque chose tout à la fois d’un album « Panini » revisité et d’un mur d’ex-voto consacré aux footballeurs qui ont marqué chacune de nos vies. Ce que renforce leur « mise en vitrine » à l’occasion de ce projet singulier.”

Marc Donnadieu

  • De quoi est-il aujourd’hui le nom, sinon le genre ? Entre celui que vivent les joueurs sur le terrain, les supporteurs réunis dans les tribunes, les téléspectateurs assis au creux de leur canapé et les digital natives rivés à leur écran, est-ce vraiment du même football dont il s’agit ? Un sport collectif ? Une marchandisation des corps ? Un mode d’existence communautaire et indiscipliné ? Un temps de cerveaux disponibles ? Un flux d’images interchangeables ? Ou autre chose encore ?...

    Sous l’intitulé « L’Atlas, joueur », l’artiste Louis Verret, dont-on a pu voir récemment les œuvres à Poush, ne tente pas d’y répondre, mais nous fait tout de même entrevoir la matière première sur laquelle ces interrogations se fondent, sinon les rapports à l’image qui en découlent. Aussi le médium de l’aquarelle, précisément choisi par l’artiste comme mode préférentiel de représentation, fait-il ici écho à cette dépense physique des corps durant un match, à cette atmosphère qui les nimbe en permanence et qui se mêle aux clameurs qui fusent dans l’enceinte du stade, à ces émotions et ces cris qui traversent et bouleversent les joueurs tout autant que les supporteurs à chaque action décisive. Autrement dit, en suivant la célèbre déclaration de Winston Churchill, ce labeur, ce sang, ces larmes et cette sueur qu’absorbe à chaque occurrence la feuille de papier.

    Il ne s’agit donc pas ici de la façon dont le sport peut « faire image », mais des manières infiniment plurielles dont ces images se génèrent, impriment notre mémoire et deviennent plus tard des reliques sinon des objets de culte. Il y a ainsi dans la production de Louis Verret quelque chose tout à la fois d’un album « Panini » revisité et d’un mur d’ex-voto consacré aux footballeurs qui ont marqué chacune de nos vies. Ce que renforce leur « mise en vitrine » à l’occasion de ce projet singulier.

    Parallèlement, si la multiplicité des points de vue déployés par les œuvres présentées évoque cette notion d’« atlas » à laquelle l’intitulé de l’exposition réfère, qu’en est-il de ce « joueur » convoqué, lui, au singulier ? Sans doute l’artiste en premier lieu, qui se joue des footballeurs sur le terrain comme il se joue de nous, spectateurs captifs, devant son installation après l’avoir été devant nos écrans. Quoique de façon différente et selon un léger décalage. Car des images que le football se donne de lui-même, Louis Verret n’en garde ni les plus remarquables ni les plus spectaculaires.

    Ce qui fait sens ou réalité pour lui semble plutôt l’insensé ou l’inconscient du football et des footballeurs : ses langues individuelles, ses incontrôlés corporels, ses lapsus comportementaux, ses débordements spontanés, voire ses affirmations ou ses provocations face à des interdits explicites ou implicites, à l’instar de l’enlèvement du maillot et son brandissement à bout de bras entre imploration et sacrificialité. Ce qu’expriment dès lors des rituels comportementaux ou des codes vestimentaires secrets et quasi clandestins entre joueurs ou entre joueurs et supporteurs, des gestes de superstitions ou de prières excessifs, des attitudes quasi intimes et presque impudiques, sans oublier des « poses » presque religieuses, de formes inédites de pietà en postures inattendues de Saint-Sébastien.

    Très curieusement, le néologisme couramment utilisé de « digital » au lieu et place de « numérique » réfère à une physicalité et un « doigté » qui s’opposent au contexte de départ – le monde contemporain des images – tout en le ré-enrichissant de cette corporéité qu’il avait perdue du fait de sa technologisation. Ce qui nous fait ici face, ce n’est pas seulement un choix très minutieux et circonstancié d’arrêts sur image que Louis Verret a opéré au cœur de ce flux continu de retransmissions sportives qui s’enchaînent presque sans discontinuité au fil des chaînes de télévision dédiées. Ce sont bien plutôt des faits, des moments, des espaces qui excèdent ce qu’ils sont censés représenter.

    Et les tâches d’aquarelle de rééditer les pixels de l’image numérique dans le champ du réel et non plus dans celui de sa reproductibilité infinie et de sa spectacularisation permanente. De même, les traits de crayons laissés visibles, les blancs entre les tâches et les multiples bavures de ces dernières deviennent « substantifier » ce qui échappe ou déborde des faits représentés, et font vibrer cette vie et cette intensité qu’ils contiennent en eux-mêmes et par eux-mêmes, entre éblouissement pur et défaillance inéluctable.

    Et si cet « Atlas » du titre incarnait bien plutôt cette figure mythologique qui porte sur ses épaules la voûte céleste pour l’éternité afin que nos étoiles puissent briller au firmament de nos cieux ? Beau joueur !...

    — Marc Donnadieu, commissaire d’exposition et critique d’art

    1 « Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective “business”, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or, pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. »

    — Patrick Le Lay, in « Les dirigeants face au changement », Paris, Éditions du Huitième jour, 2004.

    2 « I have nothing to offer but blood, toil, tears and sweat », Winston Churchill au cours de son premier discours prononcé à la Chambre des Communes le 13 mai 1940, suite à sa nomination au poste de Premier ministre du Royaume-Uni durant la Seconde Guerre mondiale.

  • A quelques jours de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris, on ne peut détourner les yeux de tous les slogans, citations, hymnes ou devises que nous répètent sans cesse et consensuellement élu.e.s, publicitaires, institutionnels ou athlètes. On y fait l’éloge de l’union et de l’amitié entre les peuples, du dépassement de soi, de la loyauté sans faille et du respect absolu de l’adversaire. Des valeurs bien nobles que l’on a voulu en parallèle faire porter à la culture. Alors que des Olympiades Culturelles sont actuellement organisées pour soutenir le discours officiel de la célébration du « plus haut, plus vite, plus fort » - auquel on a ajouté « ensemble » pour plus d’inclusion -, l’exposition Palmarès vient interroger ces valeurs olympiques à travers son trophée emblématique : la médaille.

    Objet triomphant infiniment convoité du mérite et du succès (Delphine Dénéreaz, Bella Hunt & DDC), la médaille incarne les prouesses sportives tant admirées, en repoussant les limites de l’imagination (Brankica Zilovic, Morgane Ely). Si on en revient à l’objet antique comme parure (Chloé Royer) et à ses origines étymologiques – de Tropaeum, la dépouille d’un ennemi vaincu – elle est le point de rencontre de la guerre et du sport, deux mondes qui alors s’entrechoquent. La rivalité provoquée par le duel de deux déesses (Hermine Bourdin) illustre les contradictions inhérentes aux Jeux Olympiques contemporains, comme les deux faces d’une même médaille. Hérauts de notre société, les artistes ont pour beaucoup mis en lumière les contradictions de cette compétition sportive, à l’image d’une boussole déréglée (Margot Pietri). A partir de la coexistence parfois antinomique des matériaux utilisés, comme le béton et la laine ou les pierres semi-précieuses et l’intelligence artificielle, les artistes révèlent tantôt la fragilité corporelle des athlètes poussés à l’extrême (Floryan Varennes), tantôt l’impact environnemental d’une manifestation sportive de cette ampleur (Anne Horel). Telle un Icare aux ailes brûlées à vouloir se rapprocher trop près du soleil, l’exacerbation de la compétition pousse à tous les excès, venant anéantir les rêves de celles et ceux laissés aux pieds du podium (Jonathan Brechignac), ou parasiter la fameuse rengaine « l’important c’est de participer » (John Fou).

    Résine, velours, céramique, tissus ou acier remplacent ici l’or, l’argent et le bronze, tous trois issus d’éléments organiques de même nature. Si certains ont décrit l’unité formelle et idéelle de la médaille à partir d’une multitude de fragments (Paul Créange), d’autres ont choisi des matériaux pour leur histoire socio-politique particulière. Ainsi, le wax allié au pagne marque en Afrique l’empowerment féminin (Amandine Guruceaga), et le chocolat – denrée importée d’Amérique latine au XVIIIe siècle, rend hommage aux athlètes issu.e.s des colonies trop souvent invisibilisé.e.s (Ismaël Bazri). Certain.es artistes convoquent la touche sucrée et gourmande pour symboliser la récompense après l’effort (Philippine de Salaberry). D’autres encore ont perçu l’accueil des JO à Paris comme « la cerise sur le gâteau », situation ubuesque au vu du déplacement des populations les plus précaires (Alice Guittard), et l’ont incarné en une vulgaire part de pizza aux ingrédients sociaux, politiques et économiques particulièrement déviants dans ce contexte (Héloïse Rival).

    Alors cette médaille, on la consomme à défaut de la mériter (Louis Verret). On la consomme à en avoir mal au cœur. Elle devient médaille de la honte d’un système capitaliste qui impose au monde son tropisme pour la concurrence et l’individualisme (Charlie Aubry). Une médaille du fiasco total et de la défaite absolue qui vient récompenser les échecs répétitifs et collectifs de notre société aveuglée (Lou Cohen). Aveuglée et surveillée par le fantasme et l’emballement sécuritaire mis en place par les autorités (Léonard Martin). On peut alors, comme Ulysse, crever l’œil au regard unique du Cyclope, ou bien l’éblouir avec un rayon du soleil reflété dans l’étain pur d’une médaille. L’œil et le soleil confondus peuvent désormais laisser place à la lumière lunaire, celle qui dénonce l’homophobie et le masculinisme encore (trop) présents dans le sport (Michel Jocaille), bien qu’un rééquilibrage et un espoir d’équité semble se profiler (Letizia Le Fur). Là interviendrait le succès d’un rituel qui se voudrait catalyseur symbolique, destinée à laisser place à une nouvelle ère de transformation et d’évolution pour l’humanité (Shiteevee). Car les artistes peuvent décider d’abolir ce monde dominé par la pensée néodarwinienne au profit d’une collaboration symbiotique entre les êtres du présent (Lucien Murat, Delphine de la Roche) et du futur (Camille Astié). Pour cela, il faut peut-être que des médailles messagères circulent, telles des au revoir funèbres aux traditions passées, pour renouer avec le plaisir du sport et de ses aléas. Et pour respecter, enfin, le corps physique et social et son environnement.

    Joséphine Dupuy Chavanat

  • Les fruits de la passion est un corpus entamé il y a quelques années et qui s’accorde à mettre en lumière le drame du football contemporain. Ce projet exploite les situations paradoxales (esthétique, politique) de ce spectacle, que ce soit au stade ou devant sa télévision. Composées d’images traitées principalement à l’aquarelle, dans un registre lacrymal ou embué, ces productions plastiques sont submergeantes. Y sont consacrés, aussi bien en atlas qu’en propositions individuelles, le climat du stade, le geste du joueur, la ritournelle entonnée par la foule, l’adoration des idoles.

    Arènes d’aujourd’hui, les stades de football brassent un passif historique que les écrans, les bandeaux publicitaires et les moyens techniques de diffusion ne parviendront jamais à faire oublier. Roland Barthes le notait à propos du catch, dans un texte qui ouvrait son fameux traité sur les Mythologies (1957) : dans ce « spectacle excessif », domine une « emphase qui devait être celle des théâtres de l’Antiquité ». Les centaines d’aquarelles de Louis Verret formant la série intitulée Les Fruits de la passion ne désobéissent pas à de telles conclusions ; elles les certifient, en isolant les scènes et motifs qui rappellent le football à la longue histoire du sport et de la compétition publics, mais aussi des rites religieux et sociaux. Ses papiers détrempés de couleurs disent à leur manière que si la mise à mort a disparu, les origines culturelles du sport le plus plébiscité qui soit et les significations symboliques qu’il charrie et fait s’affronter ont leurs racines dans la nuit des temps.

    Du regard indigent de l’attaquant qui prie les cieux sous les yeux, froids et nombreux, des caméras, jusqu’au capitaine se drapant de l’étoffe nationale pour signifier la loyauté au pays dans la victoire, en passant par les gestes dépités du perdant, un répertoire iconographique se forme qui révèle la théâtralité d’un sport particulièrement codifié. Le moindre tacle et ses conséquences scéniques nous rappellent à la jambe tranchée à l’épée du gladiateur, tant l’expression de la souffrance, fût-elle parfaitement factice, est nécessaire au déroulement du scénario olympien.

    L’être humain se construit par mimétisme et le sport en est le royaume : copie parfaite du mouvement parfait, certes, mais pas que. Il est aussi un jeu où l’imitation donne dans la dépense pure, où une part d’énergie est consacrée à la répétition de gestes tout à fait inutiles à la réalisation du sport, cependant entièrement utiles à le convertir en spectacle. De saynètes redondantes en coups de théâtre (voire coups de tête), ces gestes-là disent moins l’effort lui-même – ainsi du « boulet de canon » tiré par un attaquant – que son accomplissement ou son échec.

    À la fin du XIXe siècle, l’historien allemand Wilhelm Richter livrait une somme érudite sur les jeux et les sports antiques. Son contemporain Aby Warburg, historien de l’art et de la culture, entreprenait quant à lui de comprendre comment les cultures enfouies étaient réveillées à des siècles de distance et tentait d’offrir une explication à la réitération de certains gestes, mouvements, postures, expressions ou motifs en les qualifiant de « formules de pathos » qui attestent d’un phénomène de « survivance ». C’est à la croisée de Warburg et de Richter que se situe le travail de Louis Verret. Les vidéogrammes de scènes passionnelles qu’il accumule comme matière première et convertit en peintures indiquent que la culture a ses réflexes autonomes, autrement dit qu’il existe un inconscient historique collectif.

    L’emploi de l’aquarelle rappelle, par son aquosité, que tous ces gestes, eux aussi, maculent et débordent – non pas sur le papier mais à travers l’épaisseur historique des siècles qui se succèdent et d’une culture toujours plus composite, où les motifs religieux que sont la piété et la passion, par exemple, prennent place au sein du jeu et du sport. On pense alors à la perte du Danube, ce phénomène qui voit le grand fleuve, en période d’étiage, s’assécher et disparaître de la surface pour ne ressurgir que quatorze kilomètres plus loin – métaphore, elle aussi liquide, des survivances et de leur logique propre.

    Le philosophe allemand Günther Anders voyait dans la diffusion instantanée des grands événements contemporains un tarissement de l’expérience humaine, en tant qu’elle nie la présence au monde tout en y faisant croire. Il demeure néanmoins que le spectacle qu’elle répand jusqu’aux confins du monde atteste bel et bien d’une présence à un temps long et pourtant révolu. D’une île à l’autre de la culture, formant un archipel, il y a des terres englouties qui sont autant de voies de passage. Les révéler exige, comme le fait Louis Verret, d’accumuler et d’agencer des images, à la manière d’un atlas ou d’une mélancolie, de sorte à ce que les chaînons manquants qui les explicitent accèdent à la visibilité.

    Guillaume Blanc-Marianne

    Paris, 15 octobre 2023