LETIZIA LE FUR

Les échappées⎥ 4 novembre 2025 - 23 janvier 2026

Julie Caredda est heureuse de présenter Les échappées, la troisième exposition personnelle de Letizia Le Fur avec la galerie

Communiqué de presse

 

La fabrique d’un ailleurs

“Il n’est pas d’objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre éclairée par une chandelle” (1) écrivait Baudelaire en 1869. Point de chandelles pour ces fenêtres que Letizia Le Fur nous présente et nomme à juste titre « Les échappées », mais une plongée dans des ailleurs entre réalité et fiction, des voyages dans des paysages réels, aménagés ou complètement composés.

Sur chaque image, une fenêtre. Fermée, entrouverte, ouverte, volets clos, voilée. À travers ces rectangles, des paysages : mer, montagne, collines, feuillages… Réalité ? Montage ? À nous qui regardons de composer une histoire, notre histoire. Commencée en 2019, cette série photographique s’inscrit de manière transversale dans l’œuvre de l’artiste, fortement nourrie par son intérêt pour la peinture. De la prise de vue au collage, en passant par différentes expérimentations sur la lumière et les couleurs, Letizia Le Fur compose ses tirages comme un peintre compose un tableau.

“La fenêtre est le lieu du paysage. Le paysage a lieu dans la fenêtre” (2) explique Gérard Wajcman.

Pour réaliser cet ensemble, l’artiste associe, sur chaque image, une fenêtre placée dans un espace intérieur découvert lors de ses itinérances et, à travers cette ouverture, la vue d’un décor soigneusement choisi : mer, paysages vallonnés et arborés, couchers de soleil… Ces « Échappées » nous proposent différentes atmosphères : troublantes, étranges, surprenantes, harmonieuses, raffinées… Celles-ci nous attirent autant qu’elles nous amènent à nous interroger sur la véracité de ces lieux perçus à travers ces cadres. Certaines de ces compositions photographiques, quelque peu mystérieuses, laissent suggérer une possible présence, des sons extérieurs qui nous attirent. D’autres invitent à songer à des images véhiculant récits, mythes et légendes… La mise au point réalisée sur l’extérieur implique une concentration du regard vers ce paysage fabriqué. L’homme est absent mais apparaît en creux. Il aurait pu photographier ce point de vue. Ces images constituent alors des hétérotopies : des lieux dans lesquels songer à un monde où l’on prendrait plaisir à s’inventer des histoires pour se soustraire aux contraintes du réel.

Cette série invite également à plonger dans nos pensées, à nous extraire de notre existence, pour cultiver nos désirs de nature, face à laquelle s’émerveiller, nous rattacher à des récits pour comprendre leur origine et leurs transformations. En faisant l’expérience de la beauté du vivant, nous pourrions trouver refuge et lieu de résistance. “S’émerveiller du monde tout en s’en inquiétant, aller chercher de la beauté, rester attaché à la poésie, faire preuve d’empathie n’est pas une marque de faiblesse ou de désintérêt à l’égard du fracas du monde, mais peut venir alimenter nos luttes et nous permettre d’y durer”(3) écrit Corinne Morel Darleux. Les œuvres de l’artiste constituent des ouvertures, proposent des espace-temps propices à l’invention de mondes et de récits. En effet, dans nos lieux de vie, la vue vers le lointain suscite l’envie d’une promenade jusqu’à d’autres points de vue ouverts vers l’horizon. Ces compositions photographiques nous entraînent dans un voyage mental, vers une nature fictive, vers des lieux à la fois exotiques, idylliques, ordinaires, face auxquels des souvenirs surgissent. En les contemplant, nous pouvons nous questionner sur nos désirs de moments de respiration, de souffle dans notre quotidien.

Considérant que l’urgence écologique impose de limiter nos trajets lointains, les écrans de nos téléphones portables et de nos ordinateurs sont devenus des substituts nous permettant de voyager, de nous ouvrir à l’autre tout en restant chez nous. Les photographies, en tant que possibles ouvertures, ravivent une pratique de plus en plus fréquente, celle de nous laisser prendre au jeu d’un déplacement virtuel. Les photographies de Letizia Le Fur invitent à une forme de déambulation immobile. Elles renvoient aux usages des images comme vecteurs de souvenirs, permettant un certain dépaysement et incitent à songer aux papiers peints panoramiques qui habillaient parfois les intérieurs. “Tu n’as pas besoin de partir loin pour faire l’expérience de la beauté, des merveilles t’attendent à deux pas de chez toi” '(4) suggère Rémy Oudghiri dans Microvoyage, Le paradis à deux pas. Pourquoi désirons-nous aller toujours plus loin, chercher les contrées les plus dépaysantes alors que nous pouvons peut-être redécouvrir notre environnement proche avec un regard neuf et curieux ? L’expérience d’un voyage ne pourrait-elle pas être pensée plus à proximité de notre milieu de vie ? Telles sont les questions que cette série nous invite à nous poser tout en nous interrogeant sur nos habitudes de voyageurs et sur le flux d’images retravaillées, embellies que nous partageons pour nous remémorer un moment vécu et susciter le désir chez tous ceux qui les contemplent.

Ainsi, au travers de ses Échappées, Letizia Le Fur nous invite à une traversée vers différents ailleurs, entre intérieur et extérieur, réel et imaginaire, tels des instants en suspens durant lesquels se fabriquer des possibles décors de rêve.

Pauline Lisowski

Critique d’art, membre de l’AICA

(1) Baudelaire, Les fenêtres, Petits poèmes en prose, Editions Michel Lévy frères, 1869

(2) Gérard Wajcman, Fenêtre, Chroniques du regard et de l’intime, Editions Verdier, avril 2004, p. 259 

(3) https://reporterre.net/Corinne-Morel-Darleux-S-emerveiller-du-monde-n-est-pas-une-marque-de-faiblesse

(4) Rémy Oudghiri, Microvoyage, Le paradis à deux pas, PUF Editions, April 2025, p.179.